UTILISATION PRUDENTE DES ANTIBIOTIQUES : PROJET D'INTERVENTION A L'ECHELLE DEPARTEMENTALE
1- PROBLEMATIQUE
L'émergence et la diffusion de la résistance bactérienne sont devenues une des préoccupations majeures des professionnels de santé dans le monde entier. Les infections causées par les pathogènes résistants entraînent une morbidité et une mortalité par échec de traitement et une augmentation des dépenses de santé du fait de l'utilisation de nouveaux agents anti-microbiens plus coûteux pour traiter des affections banales. A mesure que la résistance s'étend, mettant en jeu davantage d'agents anti-microbiens et d'agents pathogènes, les préoccupations se multiplient concernant la survenue d'infections qui ne pourront pas être traitées efficacement par les antibiotiques.
La pression de sélection exercée par l'utilisation large des anti-bactériens est à l'origine du développement de la résistance. L'association entre l'augmentation de l'utilisation des antibiotiques et les infections nosocomiales résistantes a été documentée au cours d'enquêtes menées dans le contexte hospitalier. Pour les infections communautaires à bactéries résistantes, les études ont mis en évidence des associations entre la quantité de médicaments utilisés à l'échelon régional ou national et les taux de résistance. De nombreuses études cas-témoins ont montré que l'utilisation des anti-microbiens constitue un facteur de risque significatif d'infection par un pathogène résistant. " (B Schwartz). [1]
La situation en France n'échappe pas à ce constat, comme en témoignent les taux croissants de résistance bactérienne et de consommation d'antibiotiques. La surveillance de la résistance bactérienne est réalisée par les centres de références qui recueillent les souches généralement isolées dans un contexte pathologique, lors d'infections soit invasives (Figure 1 : évolution de la résistance des souches de Streptococcus pneumoniae isolées par hémocultures au cours des pneumonies de l'adultes) soit non invasives (prévalence des souches de Streptococcus pneumoniae et d' Haemophilus influenzae résistantes aux beta-lactamines au cours des otites de l'enfant).[2-3]
Parallèlement, plusieurs études chez l'enfant sain gardé en collectivité ont permis d'identifier une forte prévalence de souches de portage nasopharyngé de pneumocoque et d'Haemophilus également résistantes aux classes d'antibiotiques les plus fréquemment prescrites. [4] Ces études de portage, lorsqu'elles sont conduites de manière large sur un échantillon représentatif d'enfants bénéficiant de ce mode de garde, fournissent un bon indicateur de l'écologie bactérienne dans une zone géographique donnée (bien que le mode de garde en collectivité favorise une acquisition peut être plus précoce et itérative de germes que dans un autre type d'environnement). En effet, ces enfants porteurs sont non seulement à risque de pathologies difficiles à traiter, mais sont susceptibles d'être vecteurs de ces souches résistantes pour des personnes âgées ou fragilisées de leur entourage. [5]
Plusieurs études transversales de prévalence du portage nasopharyngé de pneumocoque et d'Haemophilus influenzae ont été réalisées dans le département des Alpes-Maritimes sur un échantillon aléatoire et représentatif d'enfants fréquentant les crèches collectives du département. Ces études fournissent donc une valeur de référence pour cet indicateur. [6]
De nombreuses études conduites dans différents pays et notamment en France concourent à mettre en cause la consommation excessive et/ou inappropriée d'antibiotiques dans l'apparition des résistances bactériennes. [7-8] Ces conclusions sont corroborées par des expériences de diminution des prescriptions, notamment en Islande, en Finlande et en Hongrie, qui ont eu pour effet de réduire la prévalence des bactéries résistantes. [9-10]
La prescription extra-hospitalière d'antibiotiques en France a été analysée dans le cadre de plusieurs études, rapportées par l'Agence du Médicament. Ces études témoignent d'une augmentation de la consommation d'antibiotiques et montrent que la majorité des prescriptions concernent des infections respiratoires et ORL d'étiologie présumée virale, très fréquentes chez l'enfant . [11] Cette constatation a été confirmée lors d'une enquête téléphonique réalisée auprès de médecins généralistes dans les Alpes-Maritimes [12].
De plus, les enquêtes en crèche menées dans les Alpes-Maritimes ont permis d'évaluer les prescriptions d'antibiotiques chez ces enfants. [6]. Par ailleurs, le volume de conditionnements pédiatriques d'antibiotiques prescrits dans le département est connu pour l'année 1997 [ 853 991 unités], constituant là encore une valeur de référence et pouvant servir d'indicateur.
Il semble donc pertinent de mettre en place un programme destiné à promouvoir une utilisation plus judicieuse des antibiotiques dans le département des Alpes-Maritimes. Celui-ci s'inscrirait dans le cadre des " Propositions d'un plan national d'actions pour la Maîtrise de la résistance aux antibiotiques " diffusé par l'Institut de Veille Sanitaire [13]. Une telle démarche pourrait constituer un programme pilote au niveau d'un département.
Le coût de sa mise en place serait largement compensé par les économies réalisées en dépenses pharmaceutiques : en effet, le chiffre d'affaires du marché des antibiotiques pédiatriques pour le département était de 24.1 MF en 1997. Une réduction de la consommation de 5% équivaudrait donc à une économie de 1.2 MF sur un an, dont on est en droit d'espérer qu'elle se maintiendrait au delà de ce délai. Un programme d'intervention visant à réduire les prescriptions d'antibiotiques dans le cadre de la bronchite aiguë non compliquée de l'adulte dans le Colorado a fait chuter les prescriptions de 26% en un an [14].